l'Église
La Sagesse
La méfiance
L'amour
Célébrer
la foi
L'artiste
serviteur de Dieu
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Les
samedi 7 et dimanche 8 novembre, les chorales paroissiales de France se
retrouvent à Lourdes pour le Congrès National de LANCOLI
(Association des Chorales Liturgiques). Le dimanche, elles chanteront
la Messe concélébrée par les Évêques
de France dans la basilique souterraine. Cet événement
est l'occasion de réfléchir sur les relations entre l'Église,
l'art et la beauté.
Vis-à-vis
de l'art et de la beauté, l'attitude de l'Église a toujours
été faite à la fois de méfiance et d'amour.
Cette méfiance n'est pas une marque de mépris. Elle est
au contraire la reconnaissance en négatif de la grandeur de l'art
et de la beauté. Ceux-ci sont tellement fascinants qu'ils portent
en eux la tentation de l'idolâtrie. Cette méfiance de l'Église
a ses racines dans la foi du peuple d'Israël et dans les textes bibliques
qui expriment cette foi.
La
Sagesse
Cette méfiance
envers la beauté de l'univers est bien exprimée dans le
livre de la Sagesse. Dans la beauté du feu, du vent, de la brise,
de la ronde des étoiles, de la violence des flots, des luminaires
du ciel, qu'ils ont pris pour des dieux, les hommes dont pas su reconnaître
la beauté du Créateur.
"Car la grandeur
et la beauté des créatures font, par analogie, découvrir
leur Auteur... Et pourtant, continue la Sagesse, ces hommes ne méritent
qu'un blâme léger... Ils se laissent prendre aux apparences,
car ce qui s'offre à leurs yeux est si beau" ! Pourtant ils
ne sont pas excusables. La beauté aurait dû les conduire
à Celui qui en est l'auteur (Sg 13, 1-9).
Pour la même
raison, l'Ancien Testament interdit toute image de Dieu. "Tu ne te feras
pas d'image" sculptée ou peinte. (Ex 20, 4; Dt 5, 8). Le
grand péché des fabricants du veau d'or est d'avoir voulu
représenter Dieu par une oeuvre faite de main d'homme. La
seule véritable image de la beauté de Dieu est l'homme et
la femme. "Dieu créa l'homme à son image, à l'image
de Dieu il le créa; homme et femme il les créa" (Gn 1, 27).
Encore ne faut-il pas que l'homme et la femme aient tellement conscience
de leur beauté qu'ils en viennent à se prendre pour Dieu
!
Jésus
ne parle pas des oeuvres artistiques des hommes. Il évoque la beauté
de la nature: les lys des champs, les oiseaux, les phénomènes
naturels. Il ne parle pas d'architecture, de sculpture, de peinture,
sinon pour annoncer que le Temple admiré par ses apôtres
sera détruit (Lc 21, 5-6). La vraie beauté pour lui
est celle de l'amour de son Père, de la confiance des petits, du
don de soi, de la Transfiguration, de la gloire de la résurrection
(Le 20, 36).
La
méfiance
La méfiance
de l'Église pour l'art et la beauté réapparaît
régulièrement dans l'histoire. Ce fut le cas dans les Églises
d'Orient lors du grave conflit de l'iconoclasme, c'est-à-dire de
l'hérésie qui refusait toute image. Ce fut le cas de l'austérité
de Luther et de Calvin. Ce fut encore le cas de l'attitude envers le théâtre.
Toujours cette méfiance est l'affirmation en négatif de
la fascination exercée par la beauté et l'art, le risque
que l'homme devienne le concurrent de Dieu, seul créateur. Ne dit-on
pas que l'artiste est « créateur » ? Le danger d'idolâtrie
n'a d'ailleurs pas toujours été évité dans
le culte des images. Cette méfiance durera tant que durera l'histoire.
L'amour.
En même
temps que la méfiance et plus que la méfiance, ce qui caractérise
les relations de l'Église avec l'art et la beauté, c'est
l'amour. L'Église aime la beauté et l'art. Déjà
dans la religion d'Israël il y avait la beauté du Temple,
des objets sacrés, des vêtements des prêtres, des chants
et de la musique des psaumes. Bien des passages de la Bible sont de la
poésie à l'état pur. Mais cette beauté est
toujours mise au service du culte de Dieu. Les chants et la musique se
retrouvent dès les débuts de l'Église chrétienne.
Comment oublier ce que dit Saint Augustin du chant des psaumes qui le
bouleversait à Milan avant sa conversion?
Très tôt
apparaissent les images peintes, comme en témoignent les peintures
des catacombes. Depuis que l'Église a pu se manifester au grand
jour, ont fleuri, en Orient comme en Occident, les édifices religieux
de style basilical, puis roman, gothique, baroque, néo-gothique,
moderne, contemporain. La liturgie devient le rendez-vous de toutes les
formes d'art: architecture, sculpture, peinture, fresques, mosaïques,
vitrail, orfèvrerie, vêtements, bas-reliefs, poésie,
musique, fleurs, parfums.
Nulle part ailleurs
nous ne trouvons un tel amour et une telle synthèse de tous les
arts. Tout n'y est pas également beau. Certaines périodes
sont moins fécondes que d'autres. Mais une grande partie des oeuvres
d'art de notre civilisation a son origine et son inspiration dans la foi,
au point que les enfants et les jeunes qui ignorent la foi chrétienne
risquent de devenir étrangers à notre art. Nous pouvons
dire en toute vérité que pendant des siècles et encore
aujourd'hui nos églises et leurs trésors artistiques ont
été et sont de vraies écoles d'éducation à
la beauté.
Célébrer
la foi
D'où vient
cet amour de l'Église, plus fort que la méfiance, pour les
arts et la beauté? Ce qui a suscité cet amour, ce n'est
pas d'abord une préoccupation d'ordre culturel, mais la foi. Les
oeuvres d'art chrétiennes ont pour inspiration la foi, c'est-à-dire
les grands événements de l'Ancien Testament, les Mystères
du Christ, les épisodes de la vie de l'Église, le témoignage
des saints. Et les oeuvres d'art chrétiennes ont été
faites et sont faites pour célébrer la foi, l'enseigner,
la faire vivre.
Nos cathédrales,
nos églises, nos chapelles, nos oeuvres d'art ne sont pas faites
d'abord pour être des centres culturels ou des musées, mais
pour la célébration de la liturgie. La liturgie de la
terre est la présence parmi les hommes de la liturgie du ciel.
Or la liturgie du ciel est belle de la beauté de la Trinité
rayonnant sur ceux qui participent au banquet des noces de l'Agneau dans
la Jérusalem céleste. La liturgie de la terre, reflet de
la liturgie céleste, doit être belle, ce qui ne veut pas
dire forcément riche.
La liturgie
est par excellence le moment où Dieu par le Christ dans l'Esprit
Saint se communique à nous et où nous entrons en communion
avec Dieu. Dieu se communique à nous, non seulement par notre
intelligence et notre raison, mais par tout notre être d'hommes
et de femmes inséparables de l'univers. Dieu, pour se communiquer
à nous, est devenu homme en son Fils Jésus Christ. Il veut
nous rejoindre par notre esprit, notre coeur, nos sens: la vue, l'audition,
le toucher, l'odorat. Et nous entrons en communion avec lui par notre
intelligence et par notre être corporel contenant en lui les éléments
de l'univers.
C'est dans
la beauté nous enveloppant tout entiers et reçue par tous
nos sens que le ciel, c'est-à-dire Dieu, nous offre sa présence
pleine d'amour et de vérité. C'est enveloppé
par la beauté, oeuvre de notre génie, que nous entrons en
communion avec lui. La liturgie nous révèle Dieu et nous
fait entrer en communion avec lui, non d'abord par les explications que
nous pouvons donner, mais par la beauté de ses célébrations.
L:art nous aide à accueillir Dieu qui veut nous transfigurer tout
entiers. Il est le chemin de notre communion avec lui dans la louange,
l'action de grâces, la supplication, la demande de pardon. Il nous
rassemble pour que nous devenions l'Église, véritable temple
de Dieu.
Parce que nous
portons en nous l'univers, connu et inconnu, visible et invisible, nous
associons à notre liturgie la foule des saints et le monde angélique,
la beauté du soleil, des étoiles, du jour, de la nuit, des
mers, des montagnes, des vents, de la pluie, de la neige. Par notre
voix l'univers exprime sa louange, sa supplication, ses gémissements.
L'apôtre saint Paul ne dit-il pas que la création tout entière
gémit comme dans les douleurs d'un mystérieux enfantement
en attendant la glorification des fils de Dieu (Rm 8, 18-25) ?
L'artiste
serviteur de Dieu
Dans les différentes
formes de l'art, tout le cosmos est repris par les artistes pour être
intégré dans la liturgie de l'homme et la favoriser: la
pierre, le bois, le verre, l'or, l'argent,la couleur, et ces matières
immatérielles que sont la lumière et le son de la voix humaine
et des instruments, de l'orgue tout spécialement. La science et
la technique ne sont pas la seule façon d'explorer l'univers et
de le mettre au service des hommes. L'artiste qui travaille la matière
en perce peut-être plus profondément les secrets pour en
faire la servante de l'homme dans le service qui fait sa plus grande noblesse:
le service de Dieu.
Plus grand que
sa méfiance est l'amour de l'Église pour l'art et la beauté.
Mais c'est un amour assumé dans un autre amour: l'amour indicible
de Dieu, manifesté dans le Christ. Pour la foi, la plus grande
beauté est le Christ défiguré sur la croix, mais
illuminé par son amour sans limite, engloutissant la mort dans
sa résurrection. Ne serait-ce pas pour cela que les artistes ont
fait et font leurs plus beaux chef-d'oeuvre en essayant de manifester
la beauté du Christ dans sa passion, sa croix et sa résurrection
? C'est pour cela aussi que la suprême beauté terrestre
est le visage de l'homme rayonnant de la sainteté de Dieu, le visage
du saint.
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Raymond BOUCHEX
Archevêque d'Avignon
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