Paray-le-Monial
 

Bulletin religieux du 7 Novembre 1998


L'ÉGLISE, L'ART ET LA BEAUTÉ


+ Raymond BOUCHEX
Archevêque d'Avignon

«Dieu vit tout ce qu'il avait fait : cela était très bon» (Gn 1, 31).

 

 

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l'Église

La Sagesse

La méfiance

L'amour

Célébrer la foi

L'artiste serviteur de Dieu

 

 

 

    

Les samedi 7 et dimanche 8 novembre, les chorales paroissiales de France se retrouvent à Lourdes pour le Congrès National de LANCOLI (Association des Chorales Liturgiques).  Le dimanche, elles chanteront la Messe concélébrée par les Évêques de France dans la basilique souterraine.  Cet événement est l'occasion de réfléchir sur les relations entre l'Église, l'art et la beauté.

Vis-à-vis de l'art et de la beauté, l'attitude de l'Église a toujours été faite à la fois de méfiance et d'amour. Cette méfiance n'est pas une marque de mépris. Elle est au contraire la reconnaissance en négatif de la grandeur de l'art et de la beauté. Ceux-ci sont tellement fascinants qu'ils portent en eux la tentation de l'idolâtrie. Cette méfiance de l'Église a ses racines dans la foi du peuple d'Israël et dans les textes bibliques qui expriment cette foi.

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La Sagesse

Cette méfiance envers la beauté de l'univers est bien exprimée dans le livre de la Sagesse. Dans la beauté du feu, du vent, de la brise, de la ronde des étoiles, de la violence des flots, des luminaires du ciel, qu'ils ont pris pour des dieux, les hommes dont pas su reconnaître la beauté du Créateur.

"Car la grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, découvrir leur Auteur... Et pourtant, continue la Sagesse, ces hommes ne méritent qu'un blâme léger... Ils se laissent prendre aux apparences, car ce qui s'offre à leurs yeux est si beau" !  Pourtant ils ne sont pas excusables.  La beauté aurait dû les conduire à Celui qui en est l'auteur (Sg 13, 1-9).

Pour la même raison, l'Ancien Testament interdit toute image de Dieu. "Tu ne te feras pas d'image" sculptée ou peinte. (Ex 20, 4; Dt 5, 8).  Le grand péché des fabricants du veau d'or est d'avoir voulu représenter Dieu par une oeuvre faite de main d'homme.  La seule véritable image de la beauté de Dieu est l'homme et la femme. "Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa; homme et femme il les créa" (Gn 1, 27).  Encore ne faut-il pas que l'homme et la femme aient tellement conscience de leur beauté qu'ils en viennent à se prendre pour Dieu !

Jésus ne parle pas des oeuvres artistiques des hommes. Il évoque la beauté de la nature: les lys des champs, les oiseaux, les phénomènes naturels.  Il ne parle pas d'architecture, de sculpture, de peinture, sinon pour annoncer que le Temple admiré par ses apôtres sera détruit (Lc 21, 5-6).  La vraie beauté pour lui est celle de l'amour de son Père, de la confiance des petits, du don de soi, de la Transfiguration, de la gloire de la résurrection (Le 20, 36).

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La méfiance

La méfiance de l'Église pour l'art et la beauté réapparaît régulièrement dans l'histoire. Ce fut le cas dans les Églises d'Orient lors du grave conflit de l'iconoclasme, c'est-à-dire de l'hérésie qui refusait toute image. Ce fut le cas de l'austérité de Luther et de Calvin. Ce fut encore le cas de l'attitude envers le théâtre. Toujours cette méfiance est l'affirmation en négatif de la fascination exercée par la beauté et l'art, le risque que l'homme devienne le concurrent de Dieu, seul créateur. Ne dit-on pas que l'artiste est « créateur » ? Le danger d'idolâtrie n'a d'ailleurs pas toujours été évité dans le culte des images. Cette méfiance durera tant que durera l'histoire.

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L'amour. 

En même temps que la méfiance et plus que la méfiance, ce qui caractérise les relations de l'Église avec l'art et la beauté, c'est l'amour. L'Église aime la beauté et l'art. Déjà dans la religion d'Israël il y avait la beauté du Temple, des objets sacrés, des vêtements des prêtres, des chants et de la musique des psaumes. Bien des passages de la Bible sont de la poésie à l'état pur. Mais cette beauté est toujours mise au service du culte de Dieu. Les chants et la musique se retrouvent dès les débuts de l'Église chrétienne. Comment oublier ce que dit Saint Augustin du chant des psaumes qui le bouleversait à Milan avant sa conversion?

Très tôt apparaissent les images peintes, comme en témoignent les peintures des catacombes. Depuis que l'Église a pu se manifester au grand jour, ont fleuri, en Orient comme en Occident, les édifices religieux de style basilical, puis roman, gothique, baroque, néo-gothique, moderne, contemporain. La liturgie devient le rendez-vous de toutes les formes d'art: architecture, sculpture, peinture, fresques, mosaïques, vitrail, orfèvrerie, vêtements, bas-reliefs, poésie, musique, fleurs, parfums.

Nulle part ailleurs nous ne trouvons un tel amour et une telle synthèse de tous les arts. Tout n'y est pas également beau.  Certaines périodes sont moins fécondes que d'autres. Mais une grande partie des oeuvres d'art de notre civilisation a son origine et son inspiration dans la foi, au point que les enfants et les jeunes qui ignorent la foi chrétienne risquent de devenir étrangers à notre art. Nous pouvons dire en toute vérité que pendant des siècles et encore aujourd'hui nos églises et leurs trésors artistiques ont été et sont de vraies écoles d'éducation à la beauté.

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Célébrer la foi

D'où vient cet amour de l'Église, plus fort que la méfiance, pour les arts et la beauté? Ce qui a suscité cet amour, ce n'est pas d'abord une préoccupation d'ordre culturel, mais la foi. Les oeuvres d'art chrétiennes ont pour inspiration la foi, c'est-à-dire les grands événements de l'Ancien Testament, les Mystères du Christ, les épisodes de la vie de l'Église, le témoignage des saints. Et les oeuvres d'art chrétiennes ont été faites et sont faites pour célébrer la foi, l'enseigner, la faire vivre.

Nos cathédrales, nos églises, nos chapelles, nos oeuvres d'art ne sont pas faites d'abord pour être des centres culturels ou des musées, mais pour la célébration de la liturgie. La liturgie de la terre est la présence parmi les hommes de la liturgie du ciel. Or la liturgie du ciel est belle de la beauté de la Trinité rayonnant sur ceux qui participent au banquet des noces de l'Agneau dans la Jérusalem céleste. La liturgie de la terre, reflet de la liturgie céleste, doit être belle, ce qui ne veut pas dire forcément riche.

La liturgie est par excellence le moment où Dieu par le Christ dans l'Esprit Saint se communique à nous et où nous entrons en communion avec Dieu. Dieu se communique à nous, non seulement par notre intelligence et notre raison, mais par tout notre être d'hommes et de femmes inséparables de l'univers.  Dieu, pour se communiquer à nous, est devenu homme en son Fils Jésus Christ. Il veut nous rejoindre par notre esprit, notre coeur, nos sens: la vue, l'audition, le toucher, l'odorat. Et nous entrons en communion avec lui par notre intelligence et par notre être corporel contenant en lui les éléments de l'univers.

C'est dans la beauté nous enveloppant tout entiers et reçue par tous nos sens que le ciel, c'est-à-dire Dieu, nous offre sa présence pleine d'amour et de vérité. C'est enveloppé par la beauté, oeuvre de notre génie, que nous entrons en communion avec lui. La liturgie nous révèle Dieu et nous fait entrer en communion avec lui, non d'abord par les explications que nous pouvons donner, mais par la beauté de ses célébrations. L:art nous aide à accueillir Dieu qui veut nous transfigurer tout entiers. Il est le chemin de notre communion avec lui dans la louange, l'action de grâces, la supplication, la demande de pardon. Il nous rassemble pour que nous devenions l'Église, véritable temple de Dieu.

Parce que nous portons en nous l'univers, connu et inconnu, visible et invisible, nous associons à notre liturgie la foule des saints et le monde angélique, la beauté du soleil, des étoiles, du jour, de la nuit, des mers, des montagnes, des vents, de la pluie, de la neige.  Par notre voix l'univers exprime sa louange, sa supplication, ses gémissements. L'apôtre saint Paul ne dit-il pas que la création tout entière gémit comme dans les douleurs d'un mystérieux enfantement en attendant la glorification des fils de Dieu (Rm 8, 18-25) ?

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L'artiste serviteur de Dieu

 

Dans les différentes formes de l'art, tout le cosmos est repris par les artistes pour être intégré dans la liturgie de l'homme et la favoriser: la pierre, le bois, le verre, l'or, l'argent,la couleur, et ces matières immatérielles que sont la lumière et le son de la voix humaine et des instruments, de l'orgue tout spécialement. La science et la technique ne sont pas la seule façon d'explorer l'univers et de le mettre au service des hommes. L'artiste qui travaille la matière en perce peut-être plus profondément les secrets pour en faire la servante de l'homme dans le service qui fait sa plus grande noblesse: le service de Dieu.

Plus grand que sa méfiance est l'amour de l'Église pour l'art et la beauté.  Mais c'est un amour assumé dans un autre amour: l'amour indicible de Dieu, manifesté dans le Christ. Pour la foi, la plus grande beauté est le Christ défiguré sur la croix, mais illuminé par son amour sans limite, engloutissant la mort dans sa résurrection. Ne serait-ce pas pour cela que les artistes ont fait et font leurs plus beaux chef-d'oeuvre en essayant de manifester la beauté du Christ dans sa passion, sa croix et sa résurrection ?  C'est pour cela aussi que la suprême beauté terrestre est le visage de l'homme rayonnant de la sainteté de Dieu, le visage du saint.

+ Raymond BOUCHEX
Archevêque d'Avignon