Interview

QU'EST-CE QUE L'ART?

Une interview de Michaël Lonsdale

par Pierre François pour France Catholique.

«Dieu vit tout ce qu'il avait fait : cela était très bon» (Gn 1, 31).

 



 

 

 

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Qu'est ce que l'art ?

L'art et Dieu

La mode

Le comédien

 

 Qu'est ce que l'art ? Nombreux sont ceux qui glosent sur l'art. Mais qu'en disent les premiers intéressés, les artistes ? Ici, Michael Lonsdale, comédien de théâtre et de cinéma, metteur en scène, producteur parfois.

Q : Michael Lonsdale, qu'est ce que l'art ?

R : "L'art est un témoignage de vérité, de justesse, de beauté, toutes choses qui sont des attributs divins. Le Père Couturier disait que les artistes sont les témoins de l'invisible. En effet, si on prend un peintre comme Bonnard, il est capable, à partir des reliefs d'un repas, de peindre un tableau magnifique. On y retrouve effectivement les assiettes et cafetières abandonnées après le déjeuner, mais transfigurées en quelque chose d'indéfinissable qu'on appelle art.

L'artiste est celui qui a reçu de Dieu un don d'observation lui permettant de percevoir autre chose derrière le caractère banal du quotidien et d'en rendre compte parce qu'il sait aussi choisir de façon pertinente les couleurs et les sons qui conviennent.

L'art est à distinguer de toutes ces oeuvres qui ont été faites par nécessité religieuse. Leur utilité était de permettre une transgression ou un exorcisme, d'appeler les forces surnaturelles bonnes et d'éloigner les mauvaises, mais pas de transfigurer le quotidien.

Cette notion d'art est en fait assez tardive, même s'il est arrivé que des oeuvres religieuses aient aussi par accident et parce que leurs auteurs recherchaient déjà harmonie et équilibre ce caractère.

L'art ne montre pas Dieu, mais glorifie sa création qui, à cause du Nom de son créateur, est elle même infiniment respectable. Les impressionnistes peignaient des scènes parfaitement laïques mais y introduisaient une telle lumière que le tableau devient un regard sur l'humanité. De même, en musique, on ne montre pas non plus Dieu même si le sujet est religieux mais on crée une sensation de paix et d'équilibre : encore deux attributs divins. La création n'est pas Dieu mais Dieu l'habite, de même que toute démarche artistique vraie.

Qu'importe d'ailleurs que ce genre de vérité soit relative, subjective, et on ne peut nier, par exemple, que la beauté contenue dans les tableaux de La Tour ait mis 300 ans à être reconnue. On touche ici du doigt les phénomènes extérieurs à l'art, mais qui en influent le cours : que La tour fut d'un très mauvais caractère n'est sans doute pas étranger à son oubli, et il est inutile d'illustrer par des exemples ce second phénomène qu'est la mode en matière artistique.

La mode qui pousse parfois à faire ce qui ne nous correspond pas. C'est ainsi que Max Ernst n'a donné le meilleur de lui même qu'une fois sorti de l'orbite surréaliste. Quant à l'art conceptuel, il transforme l'artiste en simple choisisseur et nie la nécessité du travail recommencé par un artiste qui cherche pendant longtemps la meilleure expression. Ce faisant il nie également la valeur du temps, du contact prolongé entre l'artiste et son travail. Ce qui ne signifie pas, évidemment, que le temps soit une garantie du caractère artistique de l'oeuvre, mais il reste une nécessité.

Car c'est à travers le temps, le travail maintes fois recommencé, que se manifeste le respect pour la matière, créée elle aussi par Dieu. Il y a des toiles qui reçoivent la peinture comme un crachat alors que cette matière a besoin d'être transfigurée par l'esprit de l'artiste qui la soigne en tenant compte de ses caractéristiques intrinsèques. En définitive, l'art est le vrai modèle du bonheur."

Q : Et dans votre vie de comédien, comment aboutissez vous à l'art ?

R : "Le comédien n'est pas auteur mais interprète : il doit faire resurgir un témoignage de vérité, redonner vie à un personnage. Peu importe que ce dernier soit fictif : est ce qu'un enfant qui joue à Zorro se demande s'il existe ? Il s'y croit, et c'est tout. C'est cette sincérité qui construit le personnage. On dit que la bonne rencontre se fait à mi chemin entre le rôle et le comédien. S'il ne va pas assez vers son rôle, il joue toujours le même personnage, le sien. Et si le rôle le domine trop, il devient peu crédible. Si le personnage coïncide avec ce qu'on est, tant mieux : il y a peu d'efforts à faire. Mais si on joue du Feydeau, il est clair qu'il n'y a pas de spiritualité à faire passer dans le rôle..."