Tolkien et la Foi

extrait de J.R.R. Tolkien,The Authorized Biography,

Humphrey CARPENTER,

Unwin Paperbacks, 1978.

 

 

 

 

Le catholicisme de Tolkien

Le rôle de Tolkien dans la conversion de C.S. LEWIS

voir aussi:

Le mythe de l'anneau

 

Le catholicisme de Tolkien

TRADUCTIONS : Le catholicisme de Tolkien. Son engagement dans le Christianisme et en particulier dans l'Eglise Catholique était total. Cela ne veut pas dire que la pratique de la foi fût toujours une source de consolation pour lui : il s'était fixé à lui-même un code de conduite rigoureux, notamment en ce qui concerne la pratique de la confession, avant de recevoir la communion, et lorsqu'il ne pouvait pas se rendre à confesse (ce qui arrivait souvent), il s'interdisait lui-même la communion et restait dans un pénible état de dépression spirituelle. Une autre source de désagrément, dans ses dernières années, fut l'introduction de la langue vernaculaire dans la messe, car l'usage de l'anglais comme langue liturgique, plutôt que le latin, qu'il avait connu et aimé depuis l'enfance, lui fit beaucoup de peine. Mais même au cours d'une messe en anglais, dans l'église moderne de Headington, où il se rendit lorsqu'il fut à la retraite, et où il était parfois irrité par les chants de la chorale d'enfants et les cris des bébés, il éprouvait une profonde joie spirituelle en recevant la communion, et il expérimentait un état de plénitude qu'il ne pouvait pas atteindre d'une autre manière. Ainsi sa foi fut l'un des éléments les plus profonds et les plus forts de sa personnalité.

in Humphrey CARPENTER, J.R.R. Tolkien, The Authorized Biography, Unwin Paperbacks, 1978, p 133.

Le rôle de Tolkien dans la conversion au christianisme de C.S. LEWIS ; les principes de la mythopoétique.

Dans Surpris par la joie, Lewis a écrit que son amitié avec Tolkien " marqua la fin de deux anciens préjugés . Lorsque je suis venu au monde, j'ai été (implicitement) dissuadé de faire confiance à un Papiste, et lorsque je suis entré pour la première fois dans l'Université Anglaise, j'ai été dissuadé de faire confiance à un philologiste. Tolkien était les deux. " Peu après que le second préjugé eut été dépassé, leur amitié les porta dans sur le terrain du premier. Lewis, fils d'un avocat protestant de Belfast, avait reçu l'éducation d'un protestant de l'Ulster. Pendant son adolescence il avait professé l'agnosticisme ; ou plutôt il avait découvert que son plus grand plaisir, il ne le trouvait pas dans le Christianisme mais dans la mythologie païenne. Mais déjà il était un peu revenu de ce point de départ. Pendant le milieu des années vingt, après avoir fait son First Class dans l'Ecole Anglaise (et avant une double First en Classique) et tandis qu'il vivait chichement comme tuteur, il en était venu à ce qu'il appelait son " New Look " : la conviction que le " mythe " chrétien véhicule autant de vérité que les hommes sont capables d'en comprendre. En 1926 il avait encore avancé et en était venu à la conclusion qu'en fait sa recherche de la source de ce qu'il appelait la Joie était une recherche de Dieu. Très vite il lui était apparu qu'il lui fallait accepter ou rejeter Dieu. Or c'est à ce moment qu'il devint ami avec Tolkien. Il trouva en Tolkien un homme d'esprit, tenant des propos intelligents, et qui était néanmoins un Chrétien pratiquant. Pendant les premières années de leur amitié, nombreuses furent les heures que Tolkien passait installé dans un des fauteuils, au centre du grand salon, dans le Magdalen New Buildings pendant que Lewis, tenant sa pipe de sa grosse main et levant les sourcils derrière un nuage de fumée, allait et venait, parlant ou écoutant, se retournant brusquement et s'exlamant : " Distingo, Tollers ! Distingo ! ", tandis que son interlocuteur, lui aussi enveloppé de fumée de pipe, s'efforçait de balayer une affirmation. Lewis objectait, mais de plus en plus il en venait, en matière de croyance, à reconnaître que Tolkien était dans le vrai. Durant l'été 1929, il en était arrivé à professer le déisme, une simple croyance en Dieu. Mais il n'était pas encore un Chrétien. Habituellement, ses discussions avec Tolkien avaient lieu le Lundi matin. Ils discutaient une heure ou deux, et ensuite allaient conclure devant une bière, à l'Eastgate, un pub voisin. Mais le Samedi 19 Septembre 1931 ils se rencontrèrent dans la soirée. Lewis avait invité Tolkien à dîner à Magdalen, et il avait invité une autre personne, Hugo Dyson, que Tolkien avait d'abord connu au Collège d'Exeter en 1919. Dyson était désormais professeur de littérature anglaise à l'université de Reading, et il faisait passait souvent Oxford. C'était un Chrétien, et un homme d'une grande finesse d'esprit. Après le dîner, Lewis, Tolkien et Dyson sortirent prendre l'air. C'était une nuit agitée, pourtant ils se mirent à marcher le long de l'Addison's Walk, discutant de la finalité des mythes. Lewis, bien que croyant désormais en Dieu, n'arrivait cependant pas à comprendre la raison d'être du Christ dans le Christianisme, ni le sens de la Crucifixion et de la Résurrection. Il déclara avoir besoin de comprendre le sens de ces événements - comme il l'écrivit plus tard dans une lettre à un ami, il ne comprenait pas " comment la vie et la mort de Quelqu'un d'Autre (qui que ce fût) il y a deux mille ans pouvait nous aider ici et maintenant - sinon autant qu'un exemple est en mesure de nous aider ". Tandis qu'on avançait dans la nuit, Tolkien et Dyson le persuadèrent qu'il était en train de poser une question superflue. Lorsqu'il avait rencontré l'idée de sacrifice, dans la mythologie des religions païennes, il l'avait admirée et avait été touché par elle ; et effectivement, l'idée de la divinité mourante et renaissante l'avait toujours frappé son esprit depuis qu'il avait lu l'histoire du dieu nordique Balder. Mais, lui firent-ils remarquer, il était en train de demander autre chose de la part des Evangiles : une signification claire, au-delà du mythe. Ne pouvait-il donc pas transférer cette appréciation du sacrifice, qui ne faisait pas problème, du mythe à l'histoire vraie ? " Mais les mythes sont des mensonges, dit Lewis, même si ces mensonges procèdent d'une inspiration brillante. - Non, répondit Tolkien, ce ne sont pas des mensonges. " Alors, montrant les grands arbres de Magdalen Grove dont les branches pliaient au vent, il argumenta sur un autre plan. " Tu appelles un arbre un arbre, dit-il, et puis tu ne penses plus au mot. Mais ce n'était pas " un arbre " jusqu'à ce que quelqu'un lui donne ce nom. Tu appelles une étoile une étoile, et tu dis que c'est juste une boule de matière dont la révolution obéit à des lois mathématiques. Mais cela est simplement la manière dont tu vois les choses. En nommant et décrivant les choses de cette façon, tu ne fais qu'inventer, à leur propos, tes propres termes. Or de même que le langage est une invention concernant les choses et les idées, de la même façon les mythes sont des inventions touchant la vérité. Nous venons de Dieu, continua Tolkien, et inévitablement les mythes créés par nous, en dépit des erreurs qu'ils contiennent, reflètent aussi des fragments éclatés de la lumière véritable, de la vérité éternelle qui est en Dieu. C'est assurément seulement en fabricant des mythes, uniquement en devenant un " sous créateur " et en inventant des histoires, que l'homme aspire à l'état de perfection qu'il a connu avant la Chute. Il se peut que nos mythes soient détournés, mais ils nous attirent sans relâche vers le port véritable, alors que le " progrès " matérialiste conduit seulement vers un abîme d'ennui et la Couronne de Fer du pouvoir du démon. " En exposant sa conviction de la vérité inhérente de la mythologie, Tolkien mettait à nu le cœur de sa philosophie d'écrivain, la conviction qui est au centre des Silmarillion. Lewis écouta Dyson exprimer à sa façon ce que Tolkien avait exposé. " Vous voulez dire, demanda Lewis, que l'histoire du Christ est simplement un mythe véritable, un mythe qui agit sur nous de la même manière que les autres mythes, mais un mythe qui est réellement arrivé ? Si c'est cela, dit-il, alors je commence à comprendre. " Finalement le vent les obligea à s'abriter, et ils allèrent discuter dans la chambre de Lewis jusqu'à trois heures du matin, quand Tolkien décida de rentrer chez lui. Après l'avoir accompagné jusqu'à la High Street, Lewis et Dyson firent les cent pas dans le cloître des New Buildings, continuant de parler jusqu'à ce que le jour paraisse. Douze jours plus tard Lewis écrivit à son ami Arthur Greeves : " Je viens de dépasser ma croyance en Dieu pour entrer de façon décidée dans la croyance au Christ - dans le Christianisme. Je tenterai de t'expliquer cela une autre fois. La longue nuit passée avec Dyson et Tolkien y est pour une grande part. " Pendant ce temps Tolkien, faisant acte d'une présence distraite dans la Salle d'Examen, était en train de composer un long poème exposant ce qu'il avait dit à Lewis. Il l'appela la " Mythopoeia ", la fabrication des mythes. Et il écrivit dans son journal : " L'amitié avec Lewis compense beaucoup de choses, et en plus de m'apporter constamment du plaisir et du réconfort, elle me fait beaucoup de bien, de ce bien que donne le contact d'un homme tout à la fois honnête, courageux, réfléchi, - un professeur, un poète et un philosophe, - et un amoureux (" lover "), enfin, après un long pèlerinage, de Notre Seigneur"

in Humphrey CARPENTER, J.R.R. Tolkien, The Authorized Biography, Unwin Paperbacks, 1978, pp 149-152.